J.O. 304 du 31 décembre 2004       J.O. disponibles       Alerte par mail       Lois,décrets       codes       AdmiNet
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Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi de finances pour 2005


NOR : CSCL0407910X



La loi de finances pour 2005, adoptée le 22 décembre 2004, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de 60 députés. A l'encontre de ce texte, les auteurs des recours invoquent différents griefs dirigés, en particulier, contre ses articles 22, 28, 47, 48, 49, 52, 87 et 112.

Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.


I. - Sur la sincérité de la loi de finances


A. - Les auteurs du recours mettent en cause la sincérité de la loi de finances. Ils font valoir que les prévisions de recettes auraient été surestimées par le Gouvernement, en ce qu'auraient été retenues des hypothèses de croissance, d'évolution du prix du pétrole, de taux de change ou d'élasticité des recettes fiscales irréalistes. En particulier, ils soutiennent que la réalité de l'évaluation des recettes produites par la taxe intérieure sur les produits pétroliers aurait été dissimulée au Parlement. Ils estiment également que la détermination des plafonds de dépenses ne serait pas sincère, notamment parce que le Gouvernement a annoncé qu'une réserve de précaution serait constituée dès le mois de janvier 2005 à hauteur de 4 milliards d'euros.

B. - Ces différentes critiques ne sont pas fondées.

1. A titre liminaire, le Gouvernement se doit de rappeler, comme il l'avait déjà indiqué à propos de lois de finances antérieures, que la mise en cause de la conformité à la Constitution de la loi de finances, au regard du principe de sincérité, ne saurait résulter d'éventuelles divergences d'appréciation d'ordre technique ou politique. En termes juridiques, ne sont susceptibles de donner prise à un contrôle de constitutionnalité qu'une surévaluation manifeste et volontaire des prévisions de recettes ou une sous-estimation analogue des dépenses, dans une mesure telle que l'on puisse penser que les termes du débat parlementaire auraient été faussés par des prévisions manifestement et sciemment inexactes.

Le Conseil constitutionnel n'exerce qu'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation, en se fondant sur les informations disponibles à la date du dépôt et de l'adoption de la loi de finances et en prenant en considération les aléas inhérents à l'évaluation des prévisions de recettes et des objectifs de dépenses (décision no 99-424 DC du 29 décembre 1999 ; décision no 2000-442 DC du 28 décembre 2000 ; décision no 2001-456 DC du 27 décembre 2001 ; décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002 ; décision no 2003-489 DC du 29 décembre 2003).

En l'espèce, les hypothèses sur lesquelles ont été établies les prévisions de recettes et de dépenses pour la loi de finances pour 2005 ne peuvent être regardées comme entachées d'une erreur manifeste d'appréciation. Elles ne manquent pas au principe de sincérité.

2. Les hypothèses macroéconomiques retenues pour l'élaboration du projet de loi de finances pour 2005 tablent sur une croissance de 2,5 % en 2004 et de 2,5 % pour 2005. Ces prévisions rejoignent celles des instituts de conjoncture publics et privés qui prévalaient lors de l'élaboration de la loi de finances.

Pour 2004, l'hypothèse retenue correspond exactement à la moyenne du groupe technique de la commission économique de la Nation réunie en octobre. Les dernières informations conjoncturelles disponibles indiquent que cette prévision est en passe d'être atteinte : en effet, selon la dernière note de conjoncture de l'INSEE, l'activité aurait rebondi à l'automne après le léger tassement de l'été, ce qui assurerait une croissance de 2,4 % sur l'ensemble de l'année 2004 ; l'enquête mensuelle de conjoncture de la Banque de France se montre même plus favorable, en ce qu'elle anticipe une progression du PIB au 4e trimestre de 0,8 % contre 0,6 % pour l'INSEE, ce qui porterait le rythme annuel de la croissance à 2,5 % en 2004.

Pour 2005, le scénario macroéconomique prolonge, de façon réaliste, les tendances observées à la fin de l'année 2004 : les ménages devraient continuer à consommer à un rythme dynamique, comparable à celui enregistré en 2004 (2,5 %) en raison de l'accélération de leur pouvoir d'achat. Ce dynamisme de la consommation devrait être conforté par une légère baisse du taux d'épargne des ménages, même si la prévision sur ce point pour 2005 est demeurée prudente en maintenant le taux d'épargne à un niveau élevé (14,9 %) au regard de ses déterminants usuels (revenu, inflation, taux d'intérêt). L'année 2005 devrait également enregistrer une poursuite de l'investissement des entreprises : à ce titre, on peut indiquer que la situation financière des sociétés s'est améliorée en 2004 et que les indicateurs de confiance des entrepreneurs semblent bien orientés ; selon la dernière enquête mensuelle de conjoncture de la Banque de France, l'indice synthétique du climat des affaires dans l'industrie s'est nettement redressé en novembre.

De façon générale, la prévision pour 2005 sur laquelle a été construit le projet de loi de finances n'est pas très éloignée du consensus établi à la date du dépôt du projet au Parlement. La moyenne des estimations du groupe technique de la commission économique de la Nation situait la croissance du PIB pour 2005 à 2,2 % ; l'écart entre les prévisions du groupe technique et les prévisions du Gouvernement tenait essentiellement à des divergences d'appréciation sur l'ampleur de certains aléas (croissance aux Etats-Unis, prix du pétrole, parité euro-dollar), qu'il est difficile d'anticiper avec certitude. On doit relever de ce point de vue que les indicateurs les plus récents semblent conforter le scénario retenu par le Gouvernement : la bonne tenue de l'économie américaine, qui a continué à progresser de l'ordre de 4 % au 3e trimestre 2004 et le repli récent des cours du pétrole, redescendu entre 36 et 40 dollars le baril au cours des derniers jours - ce qui correspond au niveau retenu par le Gouvernement pour l'année 2005 - pourraient continuer de stimuler le commerce international en 2005 ; en outre, les anticipations des entrepreneurs se sont redressées en fin d'année 2004, ce qui s'est traduit par une bonne orientation de leurs carnets de commande permettant de prévoir une accélération des investissements dans les prochains mois.

3. Les critiques portées à l'évaluation des recettes de l'Etat pour 2005 seront écartées.

a) On doit relever, tout d'abord, que la prévision de recettes pour 2005 a été coordonnée avec la révision des recettes 2004, les surplus de recettes escomptés du fait de l'amélioration de la conjoncture ayant été intégralement pris en compte au moment de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2005 sans attendre la présentation du projet de loi de finances rectificative pour 2004. Les recettes fiscales nettes 2004 ont ainsi été revues à la hausse de 6 milliards d'euros par rapport aux estimations de la loi de finances initiale pour 2004, dont 5 milliards au titre des plus-values de recettes fiscales liées au rebond de la croissance et 1 milliard au titre de la réduction du prélèvement sur les recettes de l'Etat au profit des Communautés européennes. Ce montant révisé de recettes constitue la base sur laquelle ont été fondées les projections de recettes pour 2005.

Il faut souligner que les autres ajustements de recettes 2004 qui ont été effectués à l'occasion du projet de loi de finances rectificative pour 2004 n'affectent pas les prévisions de recettes pour 2005. L'ajustement à hauteur de 1,5 milliard d'euros de recettes supplémentaires en 2004 dans la loi de finances rectificative ne reflète en effet pas une modification des déterminants de la conjoncture macroéconomique mais résulte entièrement de facteurs techniques affectant certaines recettes de l'Etat : il s'agit en particulier du contentieux relatif à la taxe d'achat sur les viandes, provisionné initialement à hauteur de 1,4 milliard d'euros, mais dont l'impact a été finalement révisé à la baisse à 400 MEUR, soit une différence de 1 milliard d'euros, au vu de l'analyse précise de la décision rendue par le Conseil d'Etat ; de même, le surcroît de recettes intègre 560 millions d'euros au titre du reversement par la SOFARIS d'excédents de subventions. Ces divers ajustements sont dépourvus d'incidence sur le montant des recettes prévues pour 2005.

On peut, enfin, indiquer que la prévision des recettes pour 2005 apparaît raisonnable compte tenu des prévisions macroéconomiques. En effet, l'élasticité des recettes fiscales s'est révélée particulièrement faible en 2003 (0,1) au regard de la tendance unitaire de long terme. En 2004 et 2005, elle devrait se redresser nettement et devenir supérieure à la valeur unitaire, phénomène qui s'observe généralement en phase de reprise conjoncturelle. Le dynamisme des recettes résulterait notamment d'une croissance soutenue des recettes provenant de l'impôt sur les sociétés, compte tenu de l'amélioration sensible des résultats des entreprises observée en 2004.

Les dernières informations fournies par l'exécution budgétaire confortent les hypothèses techniques qui ont conduit à l'estimation des recettes du projet de loi de finances. Les recettes sur lesquelles se concentrent habituellement les principaux aléas, à ce stade de l'année, sont la TVA, l'impôt sur les sociétés et l'impôt sur le revenu. Les derniers résultats disponibles pour chacun de ces impôts montrent que les recettes sont en phase avec les prévisions techniques. A la fin novembre, les recettes de TVA nette se sont élevées à 110,5 milliards d'euros, soit un résultat conforme au profil de prévision ; les recettes d'impôt sur les sociétés ont atteint 30,3 milliards d'euros fin novembre, ce qui pourrait annoncer une légère plus-value d'ici la fin de l'année sur cet agrégat ; les recettes d'impôt sur le revenu ont enregistré en novembre un flux de 50,8 milliards d'euros, en ligne avec la prévision. Au total, ces informations corroborent les hypothèses techniques qui ont été retenues pour la révision des recettes 2004, recettes qui constituent la base à partir de laquelle ont été estimées les recettes 2005 figurant dans la loi de finances initiale pour 2005.

b) Les auteurs du recours critiquent également, de façon ponctuelle, l'estimation retenue par la loi de finances pour les prévisions de recettes au titre de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) pour 2005, en soutenant que ces prévisions auraient dû être révisées à la baisse d'environ 150 millions d'euros après l'intervention de la commission chargée d'évaluer les effets de la hausse du prix du pétrole sur le produit de la TIPP et de la TVA applicable aux produits pétroliers.

Il faut observer, à cet égard, que la détente des prix du pétrole constatée ces dernières semaines vient conforter l'hypothèse sous-jacente à l'élaboration de la loi de finances (36,5 dollars le baril en moyenne annuelle 2005) et les conséquences qui en ont été tirées pour l'estimation du produit de la TIPP en 2005. En outre, on doit aussi relever que la critique ne met en cause qu'un très faible écart de prévision rapporté à l'ensemble des recettes de l'Etat. Un écart de cet ordre est insusceptible d'affecter la sincérité de la loi de finances. Au surplus, on doit relever que cet écart de 150 millions d'euros représente 0,6 % du montant total attendu de la TIPP en 2005, c'est-à-dire un montant inférieur à la marge statistique d'erreur inhérente à tout exercice de prévision. A titre d'illustration, on peut indiquer que les écarts moyens observés sur les six dernières années entre la prévision de TIPP au stade de la loi de finances initiale et les encaissements réalisés sont de l'ordre de 3 %. L'amplitude des aléas positifs ou négatifs affectant la prévision de recettes de TIPP se révèle ainsi supérieure à l'impact de la contestation soulevée par les auteurs du recours. Dans ces conditions, le Gouvernement estime que la prévision retenue n'est, en tout état de cause, pas de nature à altérer la sincérité de la loi de finances.

4. En ce qui concerne la sincérité de l'évaluation des dépenses de l'Etat, les auteurs du recours mettent en cause, d'une part, la mise en réserve qui a été annoncée par le Gouvernement et, d'autre part, l'évaluation ponctuelle de certaines dépenses.

a) S'agissant de la réserve de précaution, il faut rappeler que les autorisations de dépenses votées par le Parlement constituent des plafonds. Il s'ensuit que le fait que les dépenses effectives, sur un chapitre donné, n'atteignent pas le niveau maximal autorisé ne peut être considéré comme traduisant en soi l'insincérité de la loi de finances. Il en va de même pour une éventuelle mise en réserve d'une partie des crédits autorisés.

A cet égard, il faut souligner, comme les années précédentes, que la mise en réserve annoncée par le Gouvernement a pour objet d'assurer la maîtrise globale des dépenses et, partant, le respect en exécution du plafond de dépenses voté par le Parlement. Elle repose sur les dispositions de l'article 14 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances et permet, au sein de la masse globale des crédits votés, de faire face à des besoins nouveaux apparaissant en cours d'année. Loin de mettre en cause la sincérité de la loi de finances, cette mise en réserve vise à respecter le plafond global de dépenses fixé par le Parlement ; elle manifeste un souci de lisibilité et de transparence. Ainsi, le fait de ménager des marges de manoeuvre budgétaire, afin de garantir la correcte exécution de la loi de finances, ne revient pas à remettre en cause les grandes lignes de l'équilibre budgétaire voté par le Parlement en changeant la nature et l'ampleur de la dépense publique, ni à effectuer des économies qui n'auraient pas été annoncées au Parlement. De telles mesures de précaution présentent au contraire un caractère prudentiel, traduisent une bonne gestion et n'affectent pas la sincérité des prévisions de charges arrêtées par la loi de finances.

Le Conseil constitutionnel a déjà par deux fois jugé qu'il est loisible au Gouvernement, sur le fondement de l'article 20 de la Constitution et de l'article 14 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, de prévoir la mise en réserve, en début d'exercice, d'une faible fraction des crédits ouverts afin de prévenir une détérioration éventuelle de l'équilibre du budget (décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002 ; décision no 2003-489 DC du 29 décembre 2003). Au cas présent, la mise en réserve annoncée, dont l'ampleur sera comparable à celle de l'année écoulée, correspondra à une faible fraction des 345 milliards de crédits ouverts par la loi de finances pour 2005 et le Gouvernement a informé le Parlement de son intention. Dans ces conditions, l'annonce de cette mise en réserve ne peut être jugée contraire au principe de sincérité.

b) Par ailleurs, les députés requérants mettent en cause, de façon ponctuelle, la détermination du plafond de dépenses à laquelle a procédé le législateur financier pour deux postes particuliers, en soutenant que la fixation de ces plafonds aurait été manifestement sous-évaluée au regard des besoins prévisibles.

Le Gouvernement estime que la sincérité de la fixation des plafonds de dépenses fixés par la loi de finances ne peut être appréciée que de façon globale et considère qu'en l'espèce ces plafonds ont été fixés de façon réaliste. Mais, en tout état de cause, il relève que les critiques ponctuelles adressées par la saisine manquent en fait.

Pour ce qui concerne le Fonds national de garantie des calamités agricoles, il faut rappeler qu'il est d'abord alimenté par des contributions acquittées par les exploitations agricoles et conchylicoles. Une subvention directe de l'Etat sur crédits budgétaires n'intervient qu'à titre subsidiaire afin d'assurer l'équilibre du fonds. Pour l'année 2005, la loi de finances a prévu une subvention de l'Etat à hauteur de près de 10 millions d'euros au titre de la participation à la garantie contre les calamités agricoles ; ce montant tient compte des recettes propres du fonds (entre 85 et 90 millions d'euros de contributions) et devrait permettre de couvrir les besoins prévisibles pour l'année 2005 (sinistralité courante à hauteur de 60 à 80 millions d'euros et coût annuel de gestion du fonds à hauteur d'environ 4 millions d'euros). On peut ajouter que si les dépenses du fonds en 2003 et les estimations de dépenses en 2004 ont connu des montants plus élevés, c'est en raison de l'ampleur exceptionnelle des calamités agricoles survenues en 2003.

Pour ce qui concerne l'estimation des dépenses liées à l'accueil des demandeurs d'asile, on doit observer que le fort accroissement du nombre de demandeurs d'asile constaté entre 1998 et 2003 a impliqué d'adapter progressivement les capacités d'accueil et s'est traduit par une augmentation des crédits budgétaires inscrits en lois de finances. En 2004, des dépenses supplémentaires ont dû être couvertes par voie de décret d'avance, ce qui a permis la création de places supplémentaires d'accueil. La loi de finances pour 2005 a, pour sa part, augmenté significativement le montant des crédits considérés en majorant de 28,7 millions d'euros la dotation de l'article 60 du chapitre 46-81. Il faut aussi souligner que les dispositions relatives au droit d'asile ainsi que l'organisation institutionnelle destinée à le mettre en oeuvre ont été modifiées par l'effet de la loi no 2003-1176 du 10 décembre 2003, ce qui devrait se traduire en 2005, du fait de l'accélération attendue des procédures, par une limitation des dépenses liées à l'accueil des demandeurs d'asile. Dans ces conditions, le Gouvernement estime que le plafond de dépenses fixé à ce titre par la loi de finances pour 2005 ne peut être regardé comme étant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.


II. - Sur l'article 22


A. - L'article 22 de la loi déférée, insérant pour l'essentiel un article 244 quater I au code général des impôts, a pour objet d'instituer un crédit d'impôt, sur agrément, au bénéfice des entreprises imposées selon leur bénéfice réel qui, après avoir cessé tout ou partie de leur activité en France et transféré cette activité hors de l'Espace économique européen, domicilient à nouveau cette activité en France entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2006. Le montant de ce crédit d'impôt varie en fonction de la zone de localisation de réimplantation de l'activité.

Les députés requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques.

B. - Ce grief sera écarté par le Conseil constitutionnel.

En instituant un crédit d'impôt sur les sociétés au bénéfice des entreprises qui, après avoir délocalisé tout ou partie de leur activité en dehors de l'Espace économique européen entre 1er janvier 1999 et le 22 septembre 2004, implantent à nouveau cette activité en France entre le 1er janvier 2005 et le 31 décembre 2006, le législateur a entendu inciter ces entreprises à revenir s'installer en France afin de soutenir l'activité économique et de lutter contre le chômage. Cette disposition s'inscrit dans un ensemble de mesures destiné à lutter contre les délocalisations et limiter leur impact économique et social. Elle ne vise pas à soutenir l'activité économique en général mais entend, de façon plus ciblée, inciter des entreprises qui ont déjà fait le choix de quitter le territoire national à y localiser à nouveau leur activité.

De ce point de vue, on doit relever la spécificité objective de la situation des entreprises qui ont décidé de quitter le territoire national. Les entreprises qui s'implantent pour la première fois en France ou qui, y étant déjà établies, décident d'une nouvelle implantation sur le territoire national, décident d'un tel investissement par choix stratégique pour des raisons économiques qui tiennent à la qualité du travail fourni par les salariés français dans le type d'activité considéré et à l'attractivité générale du territoire national résultant notamment des régimes généraux d'aides ou des dispositifs fiscaux de portée générale. Au contraire, on ne peut que constater que les entreprises qui ont délocalisé leur activité hors de France ont jugé, lors de leur départ, pour des raisons tenant notamment au coût de la main d'oeuvre, qu'elles ne pouvaient maintenir en France l'exercice de leur activité en dépit des dispositifs fiscaux à caractère général. Dans ces conditions, seule une mesure ciblée supplémentaire, au bénéfice de ces seules entreprises, est susceptible de les inciter à revenir sur cet arbitrage et à réimplanter, en France, l'activité qui a été délocalisée.

C'est pourquoi le législateur a décidé d'adopter les dispositions de l'article 22 de la loi de finances pour 2005. Cette mesure spécifique, limitée dans le temps, est adaptée à l'objectif d'intérêt général spécifique poursuivi par le législateur.

Le Conseil constitutionnel a déjà admis que des mécanismes fiscaux particuliers puissent être mis en place par le législateur pour inciter au retour en France d'avoirs qui avaient quitté irrégulièrement le territoire national (décision no 86-209 DC du 3 juillet 1986), en prenant en considération l'intérêt général qui s'attache à faire bénéficier l'économie nationale d'un apport de ressources nouvelles. Le crédit d'impôt institué par l'article 22 de la loi déférée a une portée toute différente des mécanismes mis en oeuvre par la loi ayant donné lieu à cette décision ; en particulier, on doit relever qu'en soi le fait de délocaliser une activité économique ne traduit pas une violation des réglementations en vigueur. Mais, comme dans ce précédent cas, le Gouvernement estime que de fortes considérations d'intérêt général s'attachent, en termes économiques et sociaux, au retour en France d'activités économiques qui ont quitté le territoire national et que ces considérations, appréciées par le législateur, justifient l'institution du crédit d'impôt résultant de l'article 22 de la loi de finances pour 2005.

Les contours précis de la mesure décidée par le législateur s'expliquent par l'objet de la mesure, la nature des activités considérées et le respect des engagements internationaux de la France.

En premier lieu, le montant du crédit d'impôt varie en fonction de la zone du territoire national où l'entreprise entend implanter à nouveau son activité : ce montant sera plus important en cas d'implantation dans une zone éligible à la prime d'aménagement du territoire classée pour les projets industriels et sera modulé en fonction du classement de la zone. En se référant à ce classement des zones éligibles à la prime d'aménagement du territoire, le législateur s'est fondé sur des éléments objectifs et rationnels ; la modulation de l'avantage accordé est en rapport avec l'objet de la mesure.

En second lieu, la distinction faite par le législateur entre les entreprises selon qu'elles ont délocalisé leur activité à l'intérieur de l'Espace économique européen ou en dehors de cet espace tire les conséquences des engagements internationaux conclus dans le cadre de la construction européenne, notamment du titre III du traité instituant la Communauté européenne relatif à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux. De même, la plupart des activités explicitement exclues par le législateur du bénéfice du crédit d'impôt l'ont été en vertu de dispositions communautaires ou d'engagements internationaux, notamment les dispositions communautaires relatives aux aides d'Etat. Ainsi, les secteurs de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture et ceux des transports ont été exclus parce qu'ils ne sont pas dans le champ d'application du règlement CE/69/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 concernant l'application des article 87 et 88 du traité instituant la Communauté européenne aux aides de minimis ; la construction de véhicules automobiles et de navires civils, la fabrication de fibres artificielles ou synthétiques, la sidérurgie et l'industrie charbonnière sont exclues des lignes directrices concernant les aides d'Etat à finalité régionale ou soumises à des règles spécifiques. S'agissant des activités financières, leur exclusion résulte à la fois de leur nature, qui en raison de leur forte mobilité intrinsèque présente des particularités au regard des délocalisations, et de recommandations internationales : il s'agit notamment des travaux menés dans le cadre du groupe de travail chargé de l'élaboration d'un code de conduite dans le domaine de la fiscalité des entreprises, créé par le Conseil de l'Union européenne le 9 mars 1998 et des travaux menés par le Comité des affaires fiscales de l'OCDE.


III. - Sur l'article 28


A. - L'article 28, insérant un article 1647 C sexies au code général des impôts, a pour objet de permettre aux redevables de la taxe professionnelle de bénéficier d'un crédit d'impôt pris en charge par l'Etat d'un montant de 1 000 EUR par an et par salarié employé depuis au moins un an dans un établissement situé dans une zone d'emploi reconnue en grande difficulté au regard des délocalisations. La définition précise de ces zones est renvoyée au pouvoir réglementaire, qui devra retenir, d'une part, les vingt zones connaissant la plus faible évolution de l'emploi salarié sur une durée de quatre ans et déterminer, d'autre part, dans la limite de dix zones, celles dans lesquelles des restructurations en cours risquent d'altérer gravement la situation de l'emploi. Si pendant la durée du crédit d'impôt ou dans les cinq années suivantes le redevable transfère les emplois en cause hors de l'Espace économique européen, il est tenu de reverser les sommes perçues à ce titre.

Les auteurs du recours estiment que ces dispositions sont contraires au principe d'égalité devant les charges publiques. Ils soutiennent, en outre, que le législateur n'aurait pas épuisé la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les zones d'éligibilité. Ils considèrent, enfin, que ces dispositions méconnaîtraient le principe de libre administration des collectivités locales et seraient contraires aux termes de l'article 72-2 de la Constitution.

B. - Le Gouvernement estime que ces critiques ne sont pas fondées.

1. Le grief tiré du principe d'égalité se borne à mettre en cause la distinction, opérée par les dispositions critiquées, entre les entreprises qui quitteraient la France pour l'Espace économique européen et celles qui s'installeraient en dehors de cet espace. Un tel grief ne pourra qu'être écarté.

L'objet du crédit de taxe professionnelle institué par l'article 28 est d'inciter les entreprises à maintenir leur activité dans des zones en grande difficulté pour y préserver l'emploi et les dissuader de délocaliser leur activité. C'est dans ce dernier but que le dispositif prévoit le reversement du crédit d'impôt dans l'hypothèse où l'entreprise bénéficiaire transférerait les emplois correspondants hors de l'Espace économique européen pendant la période d'application du crédit ou dans les 5 années qui suivent.

La distinction faite à cet égard entre les entreprises qui demeurent dans l'Espace économique européen et celles qui délocalisent leur activité hors de cet espace est impliquée par le respect des engagements internationaux souscrits dans le cadre de la construction européenne, notamment les termes du titre III du traité instituant la Communauté européenne relatif à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux. Compte tenu de la distinction des régimes juridiques applicables résultant de ces engagements, c'est sans méconnaître le principe d'égalité que le législateur a Traité différemment les entreprises selon qu'elles délocaliseraient leur activité dans l'Espace économique européen ou en dehors.

2. Le grief tiré de l'incompétence négative n'est pas davantage fondé.

Sans doute l'article 34 de la Constitution dispose-t-il qu'il appartient au législateur de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature. Mais ces dispositions constitutionnelles ne font pas obstacle à ce que le législateur, après avoir suffisamment défini les règles relatives à l'assiette, au taux et au recouvrement d'un impôt, renvoie au pouvoir réglementaire le soin de préciser ces règles. Un tel renvoi est possible à la condition que le législateur précise les critères qui s'imposeront au pouvoir réglementaire. Le Conseil constitutionnel a déjà admis, pour des mécanismes fiscaux ciblés sur des zones géographiques précises, que le législateur puisse renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de délimiter ces zones (V. par exemple la décision no 94-358 DC du 26 janvier 1995 ou la décision no 98-403 DC du 29 juillet 1998).

Au cas présent, si le législateur a effectivement renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de déterminer chaque année, jusqu'en 2009, les zones en grande difficulté au regard des délocalisations, il a pris soin de déterminer avec précision les critères s'imposant au pouvoir réglementaire.

En particulier, s'agissant du périmètre des zones, le législateur n'a pas conféré à l'autorité réglementaire un pouvoir discrétionnaire d'appréciation. Il a entendu faire référence, pour l'application du nouvel article 1647 C sexies du code général des impôts, à des zones préexistantes, à savoir les zones d'emploi définies par l'INSEE. La référence à ces zones, que l'INSEE définit comme « l'espace géographique à l'intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent », explicitement mentionnée par le rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale dans son rapport sur le projet de loi de finances, a été reprise par le législateur au II de l'article 1467 C sexies du code général des impôts résultant de l'article 28 de la loi déférée. Cette référence vaut pour les 20 zones visées au 1° du II de l'article 1467 C sexies comme pour celles mentionnées au 2° du II du même article .

On doit souligner, aussi, que le législateur a fixé les critères permettant d'identifier les zones devant être retenues chaque année. S'agissant des 20 zones d'emploi reconnues en grande difficulté au regard des délocalisations, visées au 1°, il faut relever que le législateur a précisé qu'elles doivent avoir un taux de chômage supérieur de 2 points à la moyenne nationale et un taux d'emploi salarié industriel d'au moins 10 %. Parmi ces zones (41 zones d'emploi auraient été concernées en 2003), le pouvoir réglementaire devra retenir les 20 zones qui ont connu l'évolution de l'emploi salarié la plus défavorable sur une période de 4 ans. La loi détermine la date à laquelle s'apprécie le respect de ces critères, soit le 30 septembre.

S'agissant des 10 autres zones, on doit observer que le législateur a entendu appréhender la situation de zones frappées par des restructurations industrielles importantes. Par hypothèse, cette situation est évolutive et peut justifier l'adaptation rapide du dispositif, ce qui justifie de ne pas figer irrévocablement au 30 septembre la date à laquelle l'appréciation est portée. Plutôt que de retenir des critères quantitatifs peu adaptés aux particularités de l'objectif poursuivi, le législateur a fixé des critères qualitatifs stricts et exigeants, en faisant référence, dans la limite de 10 zones, à des restructurations en cours risquant d'altérer gravement la situation de l'emploi. En pratique, les conséquences prévisionnelles sur l'emploi seront examinées au vu de critères objectifs tels que l'existence de plans sociaux, le nombre de licenciements ou l'impact sur les sous-traitants locaux, afin de ne retenir que les seules zones, dans la limite de 10, touchées par de graves accidents industriels.

3. L'invocation de l'article 72-2 de la Constitution ne saurait, enfin, conduire à juger que les dispositions critiquées seraient contraires à la Constitution.

En indiquant, au I du nouvel article 1467 C sexies du code général des impôts, que le crédit de taxe professionnelle est pris en charge par l'Etat, le législateur a assuré la neutralité du mécanisme qu'il instituait sur les recettes fiscales des collectivités territoriales : si, en effet, le redevable voit sa cotisation diminuée du montant du crédit d'impôt et peut même obtenir le reversement d'éventuels excédents, ces effets sont supportés directement par 1'Etat ; la base d'imposition n'est pas affectée par le mécanisme et les collectivités territoriales continueront automatiquement à percevoir le même produit de taxe professionnelle qu'en l'absence de crédit d'impôt. Dans ces conditions, leur ratio de ressources propres ne sera pas affecté.

A cet égard, ce crédit d'impôt s'apparente aux dégrèvements de plein droit, comme l'est par exemple le plafonnement de la cotisation de taxe d'habitation en fonction du revenu. Et on peut rappeler que les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi organique prise en application de l'article 72-2 de la Constitution et relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales avaient indiqué que les dégrèvements d'impôts locaux n'affectent pas le calcul du montant des ressources propres des collectivités locales (V. notamment le rapport de la commission des finances du Sénat).


IV. - Sur les articles 47, 48 et 49


A. - Les articles 47, 48 et 49 de la loi déférée procèdent à la refonte des dispositions régissant la dotation globale de fonctionnement des communes, des groupements de communes et des départements.

Les parlementaires requérants estiment que de telles dispositions ne relèvent pas du domaine de la loi de finances. Ils soutiennent, en outre, que l'article 49 méconnaîtrait les dispositions de l'article 72-2 de la Constitution relatives à la péréquation et serait contraire au principe d'égalité.

B. - Ces griefs seront écartés.

1. S'agissant du domaine des lois de finances, il est vrai que le Conseil constitutionnel a déjà considéré, sous l'empire de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, que des dispositions qui se bornent à modifier les conditions de répartition de dotations entre collectivités territoriales, sans affecter le montant global de ces dotations, sont étrangères au domaine d'intervention des lois de finances (décision no 89-268 DC du 29 décembre 1989 ; décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002).

On peut toutefois noter que des dispositions qui modifient les règles de répartition de telles dotations ne s'exposent pas à des censures systématiques : il en a été ainsi, par exemple, des articles 34 et 35 de la loi de finances rectificative du 13 juillet 2000, des articles 55, 56 et 57 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 2000, l'article 73 de la loi de finances pour 2001, des articles 43 et 44 de la loi de finances pour 2002 ; de même, la réforme de la dotation globale de fonctionnement à laquelle a procédé la loi de finances pour 2004 ne s'est pas attirée de critiques au plan constitutionnel, alors que son contenu s'apparente aux mesures qui figurent dans la loi de finances pour 2005.

En tout état de cause, on doit relever, en l'espèce, que les dispositions critiquées des articles 47, 48 et 49 de la loi de finances pour 2005 procèdent à une refonte substantielle des règles régissant la dotation globale de fonctionnement des communes, des groupements de communes et des départements, laquelle n'est pas dissociable du montant global de cette dotation tel qu'il a été déterminé par la loi de finances. Cette réforme destinée notamment à renforcer la péréquation au bénéfice des collectivités territoriales les moins favorisées, eu égard à son ampleur et aux dispositions qu'elle intègre, est inséparable de l'article 51 de la loi de finances, qui reconduit le contrat de croissance et de solidarité, ainsi que des montants du prélèvement sur les recettes de l'Etat que constituent les dotations en cause (V. l'article d'équilibre et le C du I de l'état A annexé à la loi de finances).

En effet, la mise en place des nouvelles règles décidées par le législateur emporte des coûts directs, résultant notamment de la réforme de la dotation forfaitaire, des garanties diverses rendues nécessaires par les variations d'attributions, de l'indexation favorable pour certains établissements de coopération intercommunale et intègre également un rebasage des dotations de péréquation, en ciblant les augmentations sur les collectivités les plus défavorisées.

En particulier, s'agissant de la dotation globale de fonctionnement des communes et de leurs groupements, qui constitue une enveloppe globale unique (V. l'article L. 2334-1 du code général des collectivités territoriales), la loi de finances a adopté un ensemble indissociable de mesures. Ainsi, le III de l'article 47 met en place, pour les communes, une dotation forfaitaire composée d'une dotation de base attribuée en fonction de la population et d'une dotation proportionnelle à la superficie. Pour le cas où ces dotations ne suffiraient pas à atteindre les montants versés en 2004, une garantie a été décidée par le législateur ; et si ces deux dotations excèdent le montant 2004, alors un surcoût de l'ordre de 60 millions d'euros devra être financé. S'agissant des dotations de péréquation, l'introduction de la notion de potentiel financier à la place de celle de potentiel fiscal (I et II de l'article 47) se traduira par des modifications de seuils d'éligibilité et a également été accompagnée de mécanismes de garantie dont le coût est évalué à 50 millions d'euros. Il faut aussi souligner l'impact, estimé supérieur à 20 millions d'euros, de plusieurs mesures intéressant les collectivités territoriales d'outre-mer.

Pour ce qui concerne les groupements de communes, la réforme implique des coûts directs, comme pour la mise en place d'un mécanisme d'indexation favorable pour les communautés de communes (I de l'article 48) ou la création d'une garantie en fonction de l'atteinte d'un niveau absolu de coefficient d'intégration fiscale (2° du IV du même article ). Elle s'est également accompagnée de mécanismes de garanties (V. notamment le V de l'article 48).

S'agissant des départements, l'article 49 prévoit essentiellement la mise en place d'une dotation forfaitaire avec une dotation « population » et un complément de garantie, le passage de la notion de potentiel financier, la création d'une dotation de péréquation urbaine et l'élargissement de la dotation de fonctionnement minimale (DFM). Ces modifications ont été assorties de garanties dont la charge dépasse plusieurs dizaines de millions d'euros.

Il est ainsi certain que cette réforme n'aurait pu être menée à bien sans l'injection de ressources supplémentaires. Les dispositions critiquées sont ainsi directement liées au montant total du prélèvement sur les recettes de l'Etat. Ces ressources supplémentaires ont été dégagées par la reconduction, à l'article 51 de la loi de finances, du contrat de croissance et de solidarité, c'est-à-dire par la décision de reconduire les modalités d'indexation de l'enveloppe normée retenues en 2004, à savoir l'évolution de l'indice des prix à laquelle s'ajoute 33 % de l'évolution du PIB. Pour être prévue par l'article L. 1613-1 du code général des collectivités territoriales, une telle indexation n'a rien d'automatique ; elle tranche, de façon remarquable avec la norme d'évolution des dépenses de l'Etat (+ 1,8 %). La décision du législateur de maintenir cette évolution exceptionnelle du montant global de la dotation, alourdissant dans cette proportion le montant du prélèvement sur les recettes de l'Etat de près de 500 millions d'euros, s'explique uniquement par la mise en place de la réforme de la DGF. L'alternative consistait soit à s'en tenir, comme pour les autres dépenses de l'Etat, à la seule prise en compte de l'inflation, soit à conserver une évolution plus substantielle pour permettre la réforme.

Dans ces conditions, le Gouvernement considère, comme l'avait estimé l'Assemblée générale du Conseil d'Etat lorsqu'elle avait examiné le projet de loi de finances, que les dispositions des articles 47, 48 et 49 de la loi déférée ont pu figurer dans la loi de finances pour 2005.

2. S'agissant de l'article 49 relatif à la dotation des départements, les auteurs du recours soutiennent, en outre, que les dispositions adoptées par le législateur méconnaîtraient les termes de l'article 72-2 de la Constitution relatifs à la péréquation et porteraient atteinte au principe d'égalité.

Ces critiques ne sont pas fondées.

L'article 49 crée au sein de la dotation globale de fonctionnement des départements une dotation de péréquation spécifiquement ciblée sur les départements urbains, dite dotation de péréquation urbaine (DPU). Les départements y sont éligibles en fonction de leur potentiel financier, le calcul de la dotation versée à chaque département prenant en compte des critères de ressources et de charges par le biais d'un indice synthétique intégrant le nombre de bénéficiaires d'aides au logement, la proportion de bénéficiaires du RMI, le revenu moyen par habitant et le potentiel financier, à l'instar de ce qui a été mis en place pour les communes urbaines bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine (DSU).

L'article 49 procède, en outre, à une réforme de la dotation de fonctionnement minimale (DFM), destinée aux départements ruraux les plus défavorisés, afin de renforcer son effet péréquateur. On doit noter qu'à l'exception de la substitution de la notion de potentiel financier au critère de potentiel fiscal, les critères de répartition de la DFM demeurent inchangés.

Ces dispositions ne méconnaissent nullement l'article 72-2 de la Constitution. Au contraire, elles contribuent à mettre en oeuvre ces dispositions constitutionnelles prévoyant que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités ». Elles complètent, à cet égard, les effets résultant de la réforme de l'architecture des dotations entreprise par la loi de finances pour 2004.

Par ailleurs, il n'apparaît pas que le principe d'égalité soit ici en cause. Les dispositions critiquées de l'article 49 se rapportent, en effet, à deux dotations différentes, dont l'objet est distinct, même si elles concourent toutes deux à mettre en oeuvre l'objectif constitutionnel de péréquation.

Le maintien d'une existence autonome de la DFM s'est imposé en raison du caractère particulièrement péréquateur de cette dotation ciblée sur les départements ruraux les plus défavorisés. Certaines critiques étaient portées à la DFM en raison de l'ampleur des effets de seuils entre départements, selon qu'ils étaient éligibles à la DFM ou seulement à la dotation de péréquation. Mais la réforme entreprise par l'article 49 de la loi déférée, en élargissant la dotation à 40 départements non urbains, vise précisément à résoudre ces difficultés. Cet élargissement s'est accompagné d'un accroissement de l'enveloppe à répartir et conduit ainsi à une progression plus forte des attributions des départements : les 24 départements éligibles à la DFM recevaient en moyenne 40 EUR par habitant (28 EUR au titre de la DFM, 12 EUR au titre de la dotation de péréquation) alors que les 40 autres départements recevaient en moyenne 11 EUR par habitant au titre de la dotation de péréquation ; s'il est incontestable que les 24 départements éligibles à la DFM sont plus défavorisés, l'écart avec les autres départements n'est pas tel qu'il justifie une dotation de péréquation par habitant en moyenne quatre fois plus élevée.

Dans ces conditions, les critères en vigueur ont été conservés pour la dotation de fonctionnement minimale réformée parce qu'ils sont apparus pertinents pour apprécier la situation respective des départements éligibles. Il s'agit notamment de la voirie et de la superficie (V. l'article R. 3334-2 du code général des collectivités territoriales). Eu égard à l'objet de cette dotation, il n'est pas apparu nécessaire de retenir des critères supplémentaires, qui se seraient traduits par des complications supplémentaires sans utilité véritable.

Indépendamment de la réforme de la DFM, le législateur a décidé de créer une dotation de péréquation urbaine (DPU), pour mieux prendre en compte la situation des départements urbains en difficulté. Sont regardés comme urbains les départements dont la densité de population est supérieure à 100 habitants au kilomètre carré, et dont le taux d'urbanisation est supérieur à 65 %.

Les critères utilisés - qui reprennent assez largement ceux utilisés par la dotation de solidarité urbaine - ont été retenus en raison de leur caractère représentatif des charges de ces départements. Ainsi, il a été considéré que le critère du nombre de bénéficiaires du RMI permet de refléter les charges des départements urbains et permet d'établir entre eux des distinctions significatives : près de 60 % des bénéficiaires du RMI sont, en effet, recensés dans les 32 départements urbains ; le ratio du nombre de bénéficiaires du RMI rapporté à la population totale dans les départements non urbains est très largement inférieur à celui des départements urbains (départements urbains : 1,77 % ; départements non urbains : 1,32 %).

Les choix qui ont été retenus ne peuvent ainsi être tenus pour arbitraires et l'on peut observer que traiter de façon identique les départements urbains et l'ensemble des autres départements aurait conduit à diluer les dotations et à limiter la péréquation. Les griefs seront donc écartés.


V. - Sur l'article 52


A. - L'article 52 de la loi déférée détermine les modalités de la compensation financière des transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales résultant de la loi no 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.

Les auteurs du recours soutiennent que les modalités retenues ne satisferaient pas aux exigences résultant de l'article 72-2 de la Constitution.

B. - Une telle argumentation ne saurait être retenue.

Selon le quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice.

Ces dispositions constitutionnelles impliquent que le montant des ressources attribuées par l'Etat soit fixé au niveau des ressources qui étaient effectivement consacrées par l'Etat à l'exercice de ces compétences avant leur transfert (décision no 2003-489 DC du 29 décembre 2003). Le Conseil constitutionnel a admis que le transfert de compétences puisse être compensé par l'attribution aux collectivités territoriales d'une partie du produit d'un impôt comme la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers, en précisant toutefois qu'il appartiendrait à l'Etat de maintenir un niveau de ressources équivalant à celui qu'il consacrait à l'exercice des compétences avant leur transfert si les recettes provenant de cet impôt venaient à diminuer.

Au cas présent, les dispositions de l'article 52 de la loi de finances déférée satisfont pleinement aux exigences constitutionnelles résultant du quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.


L'article 52 prévoit, en effet, une affectation aux régions d'une fraction de tarif de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers appliquée à chaque hectolitre de carburant mis à la consommation sur l'ensemble du territoire national. De manière provisoire, la fraction de tarif de la TIPP sera déterminée, pour l'ensemble des régions, à partir des volumes de carburants mis à la consommation en 2004 et du droit à compensation des régions, tel que défini à l'article 119 de la loi no 2004-809 du 13 août 2004 : il est ainsi égal à la moyenne actualisée des dépenses de l'Etat avant transfert, sur 3 ans pour les dépenses de fonctionnement et sur au moins 5 ans pour les dépenses d'investissement. Au stade du projet de loi de finances pour 2005, la détermination de cette fraction provisoire est fondée sur les prévisions de recettes 2004 ainsi que sur l'estimation des dépenses de l'année 2004 et des années antérieures. Chaque région se voit affecter un pourcentage du tarif attribué globalement aux régions, en fonction de sa part dans le total du droit à compensation des régions.

Le législateur a prévu que la régularisation définitive de la fraction de tarif s'effectuera sur la base de la connaissance du montant définitif du droit à compensation. Celui-ci sera connu dès lors que la dépense effective de l'Etat sera connue sur les années concernées et que la commission consultative sur l'évaluation des charges aura rendu son avis sur le montant de ce droit à compensation.

Des mécanismes du même ordre ont été retenus par le législateur pour la compensation des compétences transférées aux départements, via l'affectation d'une partie du produit de la taxe sur les conventions d'assurance perçue en application du 5° bis de l'article 1001 du code général des impôts.

Dans les deux cas, les impositions dont une part du produit est attribuée aux collectivités territoriales ont été retenues en raison de leur stabilité et du caractère peu volatile de leurs bases. Mais s'il advenait que ces recettes fiscales viennent à diminuer, il appartiendrait aux lois de finances ultérieures, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et dans la ligne de ce qui a été prévu par le II de l'article 119 de la loi du 13 août 2004, de procéder aux ajustements nécessaires.


VI. - Sur l'article 87


A. - L'article 87 de la loi déférée, modifiant l'article 199 sexdecies du code général des impôts, relève le plafond de la réduction d'impôt sur le revenu pour l'emploi d'un salarié à domicile à 12 000 EUR pour les dépenses engagées à compter du 1er janvier 2005, ce plafond pouvant être majoré à raison de 1 500 EUR par enfant ou par personne de plus de soixante-cinq ans, dans la limite de 15 000 EUR.

Les députés saisissants estiment que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant les charges publiques, dans la mesure où la fixation du plafond est fonction du nombre d'enfants à charge.

B. - Le Conseil constitutionnel ne pourra faire sienne cette argumentation.

On peut indiquer, tout d'abord, que le montant de la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile, créée en 1991, a connu plusieurs variations au cours de ces dernières années. Les dispositions actuelles de l'article 199 sexdecies du code général des impôts permettent aux contribuables de bénéficier, pour les revenus de l'année 2004, d'une réduction d'impôt sur le revenu égale à 50 % d'un montant de dépenses plafonnées à 10 000 EUR ou à 13 800 EUR pour les personnes handicapées. A compter de l'imposition portant sur les revenus de 2005, le plafonnement annuel des dépenses consécutives à l'emploi d'un salarié à domicile est relevé dans les conditions suivantes : d'une part, le plafond de 10 000 EUR est porté à 12 000 EUR, ce dernier montant étant susceptible d'être majoré de 1 500 EUR par enfant à charge ou pour chacun des membres du foyer fiscal âgé de plus de 65 ans, dans la limite maximale de 15 000 EUR ; d'autre part, le plafond spécifique de 13 800 EUR bénéficiant aux personnes handicapées est porté à 20 000 EUR.

En portant le plafond maximal de cette réduction d'impôt à 15 000 EUR à compter du 1er janvier 2005, l'article 87 de la loi déférée fixe le montant de cet avantage à un niveau comparable au plafond de 90 000 F qui avait été retenu par l'article 59 de la loi de finances pour 1995, sans que cette disposition ne suscite alors de critiques sur le plan constitutionnel, pas davantage d'ailleurs que les autres dispositions qui ont successivement modifié les règles régissant ce mécanisme fiscal particulier.

Il faut préciser, ensuite, que la disposition critiquée répond à un objectif économique et social d'intérêt général. Depuis son institution, en 1991, la réduction d'impôt pour l'emploi d'un salarié à domicile a pour objet le développement ou le maintien d'emplois de proximité, soit directement, soit par l'intermédiaire d'associations agréées. Elle permet ainsi, notamment, la garde de jeunes enfants au domicile familial, l'aide ménagère ou le maintien à domicile de personnes âgées ou invalides. La mesure concourt aussi à la régularité de ces emplois, l'employeur étant tenu, pour bénéficier de la réduction d'impôt, de déclarer l'identité et l'adresse de la personne employée et d'acquitter les charges sociales afférentes.

Il importe, pour répondre à cet objectif économique et social d'intérêt général, que le montant de la réduction d'impôt soit fixé à un niveau significatif, permettant aux employeurs de créer des emplois adaptés aux besoins visés et de les maintenir dans la durée. En relevant progressivement le plafond de la réduction d'impôt, le législateur a créé les conditions de l'emploi durable de salariés déclarés.

Le Conseil constitutionnel a jugé conformes à la Constitution les dispositions de l'article 8 de la loi de finances pour 2003, qui avaient porté à son niveau actuel le plafond de la réduction d'impôt (décision no 2002-464 DC du 27 décembre 2002). A cette occasion, le Conseil a considéré que les motifs d'intérêt général poursuivi par le législateur, à savoir combattre le chômage en développant l'emploi à domicile, lutter contre l'emploi non déclaré et améliorer la qualité de vie des familles, justifiaient le relèvement du plafond de la réduction d'impôt. Le relèvement supplémentaire décidé par l'article 87 de la loi déférée, dans le cadre d'un mécanisme de réduction d'impôt dont le montant demeure en tout état de cause égal à 50 % des dépenses effectivement supportées, n'entraîne pas davantage de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Il faut ajouter que si, à l'occasion de l'examen de l'article 8 de la loi de finances pour 2003, le Conseil constitutionnel a relevé, pour répondre à l'argumentation qui lui était alors soumise, que la fixation d'un plafond unique ne méconnaissait ni la situation matrimoniale des bénéficiaires ni les charges de leur foyer, on ne peut en déduire que le législateur, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, ne pourrait décider de moduler le niveau du plafond de la réduction d'impôt en fonction des charges de famille des foyers fiscaux. Il ressort de la décision précitée que le législateur n'est pas tenu de procéder à une telle modulation ; mais il lui demeure loisible d'y procéder sans méconnaître le principe constitutionnel d'égalité. La prise en compte des charges de famille apparaît, en effet, en rapport avec l'objet de la mesure : les buts poursuivis par le mécanisme sont d'autant mieux atteints que l'augmentation du plafond de la réduction d'impôt concerne les personnes qui sont le plus à même de faire appel à des salariés à domicile, c'est-à-dire les familles, les personnes âgées et les personnes handicapées.


VII. - Sur l'article 112


A. - L'article 112 de la loi déférée, issu d'un amendement parlementaire, modifie le code des juridictions financières et institue auprès de la Cour des comptes un Conseil des prélèvements obligatoires chargé d'apprécier l'évolution et l'impact économique, social et budgétaire de l'ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements obligatoires.

Les parlementaires requérants soutiennent que ces dispositions ne relèveraient pas du domaine des lois de finances et qu'elles auraient pour effet de dessaisir les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat de leurs prérogatives constitutionnelles.

B. - Ces critiques appellent les observations suivantes :

Selon l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, les dispositions législatives destinées à organiser l'information et le contrôle du Parlement sur la gestion des finances publiques sont contenues dans les lois de finances.

De ce point de vue, on peut relever que le Conseil des prélèvements obligatoires institué par l'article 112 de la loi déférée aura pour mission d'apprécier l'évolution et l'impact, notamment budgétaire, de l'ensemble des prélèvements obligatoires et qu'il pourra être chargé, à la demande notamment des commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances et des affaires sociales, de réaliser des études sur toute question se rapportant aux prélèvements obligatoires. Il est à noter que les résultats de ces études seront transmis de plein droit aux commissions parlementaires.

Lors des débats qui ont abouti à l'adoption de cet article , il a été souligné par les auteurs de l'amendement que ce conseil « se tiendrait aux côtés du Parlement pour éclairer le débat et pour permettre au Gouvernement et au législateur de prendre les décisions appropriées ». Les auteurs de l'amendement ont ainsi clairement entendu instituer le Conseil des prélèvements obligatoires dans le but de renforcer et de compléter l'information du Parlement en matière budgétaire et fiscale.

Dans ces conditions, les dispositions introduites par l'article 112 de la loi déférée constituent un dispositif d'ensemble destiné à améliorer l'information et le contrôle du Parlement sur les prélèvements obligatoires, qui constituent un élément essentiel pour la gestion des finances publiques. On peut ajouter que le législateur financier a prévu que siégeraient au Conseil des prélèvements obligatoires quatre personnalités qualifiées désignées par les présidents des assemblées parlementaires.

Par ailleurs, on ne saurait valablement soutenir que l'institution du Conseil des prélèvements obligatoires, destiné à assister le Parlement dans sa mission de contrôle sur la gestion des finances publiques en complétant son information, aurait pour effet de dessaisir les commissions parlementaires de leurs prérogatives. Les dispositions critiquées ne sont, notamment, pas susceptibles de faire échec à l'application de l'article 52 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances. Ce dernier grief ne pourra qu'être écarté.


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Pour ces raisons, le Gouvernement considère que les critiques adressées par les auteurs du recours ne sont pas de nature à justifier la censure de la loi de finances pour 2005. C'est pourquoi il estime que le Conseil constitutionnel devra rejeter le recours dont il est saisi.